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Rassemblement du mouvement "Nuit debout" place de la république à Paris - Nicolas Vigier

La démocratie vit-elle une crise ?

Vendredi 22 avril 2016

Les personnes rassemblées depuis le 31 mars 2016 place de la République à Paris souhaitent la « démocratie réelle » et rejettent les partis politiques et syndicats dits « traditionnels ».

Ce mouvement appelé « Nuit debout »  porte au fond les mêmes idées et aspirations que celui des « Indignados » en Espagne ou encore que le mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis. Il s’agit de changer la démocratie telle qu’elle existe au sein de nos sociétés, en reprenant en main le processus de décision.

Notre démocratie est-elle en crise ? Qu’est-ce que cette « démocratie réelle » tant souhaitée ?

Qu’est-ce que la démocratie ?

Le mot démocratie vient de « demos » qui signifie le peuple et de « kratos » qui signifie le pouvoir en grec. Une démocratie est donc un système dans lequel le pouvoir de faire la loi appartient au peuple. C'est aussi un système où chacun est libre d'exprimer ses idées, où plusieurs partis politiques existent et où les pouvoirs judiciaires, législatifs et exécutifs ne sont pas détenus par les mêmes personnes.

Ce sont les grecs qui ont inventé la démocratie à Athènes, il y a plus de 2 500 ans. La démocratie créée dans les cités grecques est une démocratie directe. C’est-à-dire que c’est l’ensemble des citoyens qui se réunit et prend effectivement les décisions.

À Athènes, l’ensemble des citoyens se réunissait 3 à 4 fois par mois sur la colline du Pnyx. Cette assemblée était appelée l’Ecclésia. Elle votait les lois et contrôlait l’action des magistrats chargés de les faire appliquer.  Les décisions se prenaient à « main levée », chacun indiquant son avis et pouvant demander la parole.  C’est cet esprit de la démocratie directe que les membres du mouvement « Nuit Debout » essayent de recréer lors de leurs Assemblées générales.

Mais si Athènes comptait environ 300 000 habitants à l’époque, seuls 40 000 d’entre eux étaient citoyens et avaient le droit de siéger au sein de l’Ecclésia. En effet, les femmes, les enfants, les étrangers et surtout les esclaves ne disposaient  d’aucun droit.  De plus, on estime que seules 5 à 6 000 personnes participaient effectivement à cette Assemblée, soit à peine 2% de la population. Enfin, seuls les plus riches pouvaient se permettre de se rendre à l’Ecclésia et de ne pas travailler pendant un ou plusieurs jours par mois. 

Tribune Ecclésia

Notre démocratie moderne apparait bien loin de cette participation directe des citoyens au pouvoir. Elle est dite « représentative » car le peuple n’exerce pas le pouvoir directement mais à travers ses représentants élus. En 1789, ce sont d’ailleurs les « représentants du Peuple Français  réunis en Assemblée Nationale » qui adoptent la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958


Surtout, les élus se voient souvent reprocher leur déconnexion par rapport aux attentes des citoyens et leur méconnaissance du monde « réel ». Ils voteraient entre eux, pour eux et sans le peuple. Notre démocratie ne serait plus « réelle » car elle ne répondrait plus à la définition donnée par Abraham Lincoln, président des États-Unis de 1860 à 1865, et qui figure pourtant dans notre Constitution : « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Les nouvelles formes de participation à la démocratie

Face à ce désenchantement et à cette colère contre un système qui ne donnerait la parole aux citoyens que lors des élections et qui ne permettrait pas à chacun de se saisir des décisions qui le concernent,  de nouveaux modes d’expression émergent.

Si le vote traditionnel est aujourd’hui de plus en plus délaissé, le succès des pétitions, comme la récente pétition contre la « Loi travail » qui a rassemblé plus d’un million de signatures, ou encore l’émergence des mouvements comme « Nuit debout » montrent que les citoyens ne sont pas insensibles  à la politique qui en grec ancien signifie d’ailleurs « ce qui concerne le citoyen ».

En fait, c’est surtout la façon de participer qui a changé. Les réseaux sociaux, les plateformes de participation citoyenne comme "Parlement et Citoyens" ou Démocratie ouverte, les sondages quotidiens et la multiplication des associations  représentatives de telle ou telle catégorie de population ou défendant telle ou telle idée ont bouleversé la façon de participer à la vie démocratique.

Si la démocratie n’est pas en crise, personne ne remettant en cause le pouvoir du peuple, la démocratie représentative, elle, semble donc bien l’être. La déception vis-à-vis de nos représentants est aujourd’hui si grande qu’une défiance généralisée envers un système qui ne serait pas réellement démocratique s’est installée.

Cette défiance se traduit aussi par la montée des extrêmes et par un certain repli de type « identitaire », c’est-à-dire sur sa communauté que l’on considère mieux à même de nous défendre, de nous écouter et d’améliorer notre quotidien.

Pour une démocratie directe ?
Exécution capitale sur la place de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde (tableau de Pierre-Antoine Demachy, musée Carnavalet, Paris, photo : Bertrand Runtz, copyright Herodote.net)

La France et la démocratie directe

La Constitution de l’An I adoptée en France en 1793 donnait bien au peuple un droit d’initiative (le droit de proposer les lois) et de veto (le droit de les rejeter) mais elle ne fut jamais appliquée en raison de la période de la Terreur.  Marqués par cette période dramatique, les révolutionnaires ont souhaité mettre en place un système plus stable, qui permettrait de contrôler les «  emportements » du peuple.

Si l’on ajoute à cela les référendums mis en place par Napoléon Ier et Napoléon III qui n’étaient en fait que des acclamations de leur pouvoir autoritaire, on comprend mieux pourquoi la France a toujours été méfiante vis-à-vis de la démocratie directe.

Démocratie directe contre démocratie représentative

Dès l’origine des premières démocraties représentatives aux États-Unis ou en France, de nombreux débats ont eu lieu.  Pour certains, la démocratie représentative ne serait qu’une fausse démocratie, c’est ce que pense au XVIIIe siècle le philosophe des Lumières Jean-Jacques Rousseau lorsqu’il écrit  « Le peuple ne peut avoir de représentants, parce qu’il est impossible de s’assurer qu’ils ne substitueront point leurs volontés aux siennes ».

Pour d’autres, il parait illusoire de faire participer directement l’ensemble des citoyens au vote des lois.

« le système représentatif est une procuration donnée à un certain nombre d'hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n'a pas le temps de les défendre toujours lui-même »
Benjamin Constant, 1819

En effet, le modèle de la démocratie directe semble construit pour les cités-États de l’Antiquité. Des cités où le faible nombre de citoyens permettait une participation de chacun et  où une immense partie du droit et des relations entre les individus était encore gérée au sein des familles ou des tribus.

Comment importer ce modèle en France aujourd’hui avec ses quelque 65 millions d’habitants ? Comment permettre à tous les citoyens de pouvoir effectivement se saisir de problèmes de plus en plus complexes qu’ils soient économiques avec la mondialisation, juridiques ou sociaux ?  

Landsgemeinde - Glarus 2014 © Ludovic Péron

L'exemple Suisse

Peut-être qu’un début de solution est à regarder tout près de nous, en Suisse. Dès le XIXe siècle, c’est dans ce pays où est né Jean-Jacques Rousseau que se sont mis en place les premiers éléments de démocratie réellement directe. Voici quelques exemples de démocratie directe en Suisse :

  • Le référendum « veto » qui permet de remettre en cause des décisions prises par le Parlement ou par les conseils municipaux ;
  • L’initiative populaire qui permet de proposer des modifications constitutionnelles ou législatives ;
  • Plus rarement, les « Landsgemeinde » où les citoyens d’un village se réunissent sur la place principale pour voter lors d’Assemblées générales.

Et concrètement cela donne quoi ? Ce petit reportage montre comment les citoyens suisses peuvent annuler une décision prise par un conseil municipal par exemple : 


L’Uruguay, l’État de Californie aux États-Unis ou encore la ville de Berlin en Allemagne avec l'existence de "jurys citoyens", sont également très en pointe dans ce domaine. La France aussi dispose d’éléments de démocratie directe dans sa Constitution. Le peuple peut être amené à s’exprimer par la voie du référendum et, depuis 2008, il peut soutenir la mise en place d'un référendum (on appelle cela « referendum d’initiative populaire ») mais dans des conditions très strictes.

Les limites de la démocratie directe ?

Pourtant, la démocratie directe ne semble pas résoudre l’abstentionnisme qui est également largement présent en Suisse. Entre 1990 et 2015, le taux de participation moyen aux référendums de l’année n’a dépassé les 50% que 3 fois, en 1992, 2005 et 2014.

Pour beaucoup, la multiplication des scrutins, tous les trois mois environs, est la source de cet abstentionnisme massif.

On reproche aussi souvent à la démocratie directe de favoriser la xénophobie, c’est-à-dire la peur de l’étranger, ou le populisme. Récemment, un vote populaire visait ainsi à faire interdire la construction de minarets en Suisse  alors même qu’il n’y a aucun minaret ni même demande de construction de minarets dans le pays...

Et en France, quelle place pour la participation des citoyens ?

Plus que celui de la démocratie directe, c’est le chemin de la démocratie participative qu’a choisi la France. C’est-à-dire l’augmentation de l’implication et du pouvoir de décision des citoyens dans la vie politique.  Ainsi, la mise en place de budgets participatifs comme à Paris pour le budget 2016, de référendums locaux – ils sont autorisés depuis 2003 –  permettant aux habitants d’un territoire de s’exprimer sur un projet de la collectivité ou des débats publics, sont autant d’outils qui permettent de remédier à la crise de la démocratie représentative. Ces initiatives se multiplient et de plus en plus de décideurs politiques invitent à renforcer ces actions.  

Une démocratie ne conserve sa légitimité, c’est-à-dire sa justification, que si les citoyens possèdent les moyens d’intervenir dans la décision publique. Partout dans le monde, les citoyens sont aujourd’hui de plus en plus convaincus que la démocratie ne se limite pas au seul fait d’élire des représentants.  La force de la démocratie c’est donc aussi d’offrir la possibilité aux citoyens de critiquer le pouvoir et d’y participer au quotidien, que ce soit au niveau local ou national.

Pour aller plus loin