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L'immigration clandestine

Jeudi 12 février 2015 (mis à jour le 20 octobre 2015)

En septembre 2014, un bateau a fait naufrage avec plus de 500 migrants à bord au large des côtes maltaises. En janvier 2015, près de 400 migrants ont été sauvés in extremis du naufrage par la marine italienne. Chaque mois, chaque semaine même, les journaux se font l'écho de bateaux abandonnés avec des centaines d'émigrés à leur bord ou de personnes repêchées, trop souvent mortes, au large des côtes italiennes. 

Le 2 septembre 2015, le monde découvre la photographie du petit Aylan, 3 ans, retrouvé mort sur une plage turque alors qu'il tentait de rejoindre l'Europe avec sa famille. L'opinion publique et les chefs d'Etats européens prennent alors  conscience de l'ampleur du drame qui se joue, notamment en Syrie en proie à une guerre civile.

La plupart des réfugiés qui arrivent à destination, sans autorisation de séjour, demandent l'asile en Europe, mais tous ne peuvent l'obtenir. Ils doivent alors quitter le territoire de l'Union européenne. S'ils restent néanmoins, ils sont alors considérés comme des clandestins.

Sénat Junior fait le point sur l'immigration irrégulière, sur la provenance, le nombre et les destinations de ces migrants, ainsi que sur les enjeux humains liés à ce phénomène.

Qu'est-ce que l'immigration irrégulière ?

a. Définition

L'immigration irrégulière désigne l’entrée sur un territoire donné d’étrangers ne possédant pas de visa ; ou la poursuite d’un séjour sur un territoire étranger après l'expiration du visa.

On confond souvent les termes émigration et immigration. Leur emploi dépend du pays depuis lequel on se situe. Si on se situe dans le pays de départ et que l'on parle des personnes qui quittent le pays, on parle d'émigrés et d'émigration. Si on se situe dans le pays d'arrivée et que l'on parle des personnes qui arrivent, on parle d'immigrés et d'immigration. 

En bref, on émigre lorsqu'on quitte son pays d'origine et on immigre lorsqu'on arrive dans un nouveau pays.

Les migrants sont à la fois des émigrés (du point de vue de leur pays de départ) et immigrés (du point de vue de leur pays d'arrivée).

b. Les facteurs de migration

Les principaux facteurs de migrations sont économiques (misère, chômage), climatiques (désertification, montée des eaux, disparition des ressources naturelles), sociaux (regroupement familial), politiques (conséquences du "Printemps arabe" par exemple ou des conflits), ethniques ou encore religieux.

c. Qui émigre ?

L’émigration coûte cher, les "passeurs", souvent liés aux mafias, prennent en général de 3.000 à 8.000 euros par personne pour franchir les frontières ce qui représente une somme considérable.

Selon un porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). "Ceux qui décident de partir ne sont pas les plus pauvres. Ils sont ingénieurs, entrepreneurs, la plupart font partie de la classe moyenne. On aperçoit souvent des familles entières qui voyagent avec les deux parents et leurs enfants."

d. D'où proviennent les migrants ?

Les grands foyers de migration vers l'Europe sont  :

  • Les pays du Maghreb et de la côte nord de l'Afrique (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye et Egypte)
  • Les pays d'Afrique sub-saharienne et de l'est africain
  • Les pays du Moyen-Orient (Syrie mais aussi Afghanistan, Irak et Pakistan)
  • Les pays d'Europe de l'Est hors UE et Europe balkanique

De plus, depuis la guerre en Libye et la mort de Mouammar Kadhafi, en 2011, l'instabilité s'est étendue en Libye et les côtes méditerranéennes du pays ne sont plus contrôlées, ce qui laisse aux passeurs et aux trafiquants toute liberté pour organiser des départs vers l'Europe. Ce pays est devenu la plaque tournante des embarquements de migrants.

Depuis le printemps 2015, la montée en puissance de l'organisation terroriste "Etat islamique" et l'aggravation de la guerre civile en Syrie, le flux de réfugiés a augmenté de façon exponentielle.

La grande majorité des réfugiés arrivant en Europe provient désormais de Syrie : ce sont souvent des familles, fuyant la guerre et les persécutions.

L'Union européenne face à un afflux de réfugiés poussés notamment par la guerre en Syrie

a. Combien de migrants irréguliers ?

Tout d'abord, il faut séparer l'immigration régulière que l'on peut comptabiliser facilement au moyen des recensements de la population, et l'immigration irrégulière qui est, par définition, complexe à mesurer puisque ne passant pas par les circuits de recensement et par l'état civil réguliers.

Pour l'immigration régulière, le recensement de 2004 faisait état de 4,93 millions d'immigrés résidant en France métropolitaine, soit 8,1 % de la population totale ; un chiffre à peu près stable depuis le recensement de 1975.

S'agissant de l'immigration irrégulière, les derniers chiffres fournis par Frontex, l'agence européenne de surveillance des frontières, sont en hausse. Les entrées illégales sur le sol européen connaissent, depuis le début de l'année 2014, un pic qui n'avait même pas été atteint en 2011 lors des révolutions arabes.

Au cours du deuxième trimestre 2014, les Etats membres de l'Union Européenne ont enregistré l'arrivée de 68 589 migrants clandestins, soit plus de trois fois plus qu'au cours du premier trimestre.

Ce chiffre n'a cessé d'augmenter tout au long de l'année 2015 à cause de la guerre en Syrie. Selon l'agence Frontex en charge de la surveillance des frontières de l'Union européenne, 500 000 migrants sont arrivés sur le territoire de l'Union depuis le début de l'année 2015, dont 156 000 pour le seul mois d'août.

b. Une estimation qui peut être établie grâce aux demandes d'asile

Le nombre de demandes d’asile reste un bon outil pour évaluer le nombre de migrants en situation irrégulière dans les pays de l'Union européenne, même si ce chiffre est forcément incomplet, certains réfugiés ne se déclarant jamais aux autorités.

Selon les chiffres publiés chaque mois par l'institut de statistiques Eurostat, près de 400 000 personnes ont demandé l'asile dans les 28 Etats membres de l'UE entre avril 2013 et mars 2014. Parmi eux, 122 335 l'ont fait en Allemagne, 59 910 en France et 56 055 en Suède.

Entre avril et juin 2015, 213 200 demandes ont été déposées dont 80 900 en Allemagne, 32 700 en Hongrie et 14 700 en France.

c. Une idée plus précise de la destination des migrants

Quand on rapporte le nombre de migrants à la population, la France ne semble pas être la première destination des migrants. Au premier trimestre 2014, les demandeurs d'asile ont représenté 220 personnes pour 1 million d'habitants, très loin de la Suède (1 205 demandeurs d'asile par million d'habitants) et derrière la Suisse (555), le Luxembourg (430), Malte (425) ou l'Allemagne (400).

Ces chiffres doivent être examinés, néanmoins, au regard de la politique relative au droit d'asile mise en œuvre par les différents pays.

Comme le montre la carte en illustration, la Méditerranée occidentale, qui comprend la zone entre le Maghreb et l'Europe du Sud (Espagne, Portugal, France et surtout Italie) est la voie la plus empruntée par les migrants. C’est sur cette route que se situe notamment l’île italienne de Lampedusa dont tu as certainement déjà entendu parler.

Depuis le printemps et surtout l'été 2015, une nouvelle route s'est ouverte via la Turquie puis les Balkans (Serbie, Croatie, Slovénie..) et la Hongrie avant d'arriver en Autriche ou Allemagne.  En septembre 2015, on estimait que 5 000 réfugiés arrivaient chaque jours en Hongrie.

En Italie, les migrants sont le plus souvent secourus en mer directement et conduits vers de grands ports italiens en Calabre, dans les Pouilles ou en Sicile. Lorsqu'ils débarquent, ils sont accueillis par des membres de la Croix rouge, des infirmiers et médecins et des policiers italiens.

Les migrants sont transférés ensuite dans des centres de première assistance. Mais étant donné le nombre de personnes qui arrive presque chaque jour, il est difficile de réaliser des procédures d’identification poussées. De nombreux migrants arrivent à s’échapper même s’il est difficile d’en connaître le nombre.

De plus, les conditions de sauvetage ou de détention des migrants ne sont pas toujours respectueuses des droits humains, les personnels des bateaux d’interception n’étant pas toujours formés aux règles du droit d’asile… 

D’après les trajets effectués par les migrants et ces chiffres, il semble que la France, et l’Italie soient davantage des « pays de transit » vers d'autres destinations où se trouve leur famille et où les perspectives économiques sont jugées meilleures (Allemagne, Royaume-Uni, Suède).

C’est la raison pour laquelle on retrouve tant de migrants à Calais : chaque jour des centaines d'entre-eux tentent de prendre clandestinement le chemin du Royaume-Uni.

Que fait l’Union européenne ? Entre surveillance des frontières et aide au développement

Voici l’Europe de « Schengen ». C’est dans cette petite ville, que fut signée en 1990 la Convention créant une Europe sans frontières intérieures. La convention est complétée par la mise en commun des informations portant sur les mouvements migratoires en Europe et une coopération policière et judiciaire.

L’espace Schengen comprend aujourd’hui 26 pays. La suppression des frontières intérieures renforce donc le besoin de surveiller et de contrôler les frontières extérieures.

a. La protection des frontières de l'Union européenne

Ces frontières - qui représentent désormais pour l’Union européenne dans son ensemble, 48 000 km de côtes, 9 400 km de frontières terrestres et environ 460 aéroports, soit autant de points d’entrée possibles dans le territoire européen - sont surveillées depuis 2005 par une agence européenne baptisée Frontex. Elle assiste les États membres et mobilise des gardes-frontières européens appartenant à différents corps de police nationaux.

Lorsque les migrants sont sauvés de la noyade ou interceptés avant d’arriver en Europe, c’est, pour la grande majorité d’entre eux, grâce à l'opération "Mare Nostrum" lancé en octobre 2013 par la marine italienne après un nouveau drame ayant fait près de 400 morts. Cette opération a pris fin en novembre 2014.

C’est maintenant l’opération « Triton » pilotée par l’agence Frontex et regroupant huit pays dont la France qui a pris le relais. Cependant, de nombreuses personnes craignent que, faute de moyens, les missions de sauvetage soient beaucoup moins nombreuses et que le risque de décès en mer continue d’augmenter.

b. L'Union européenne face à la crise des migrants

Face à l'ampleur des flux de réfugiés venant de Syrie, les pays de l'Union européenne doivent mettre en place des solutions communes et le plus pérennes possible.

Réunis le 14 septembre 2015, plusieurs Etats membres ont refusé la proposition de quotas de réfugiés répartis dans chaque pays membre. Lors du second Conseil  du 22 septembre le principe d’une répartition volontaire de 66 000 demandeurs d'asile de Grèce et d’Italie a été adopté à la majorité qualifiée prévue par les textes (la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque ayant manifesté leur opposition). Pour autant, le sort de 54 000 réfugiés présents en Hongrie et pris en compte par la proposition de la Commission du 9 septembre est "réservé" pour une seconde phase du fait du refus de ce dernier pays de participer à l’accord.

Le 23 septembre 2015, les Chefs d’État et de Gouvernement ont validé l’idée d’une répartition volontaire en deux phases et sur deux ans de 120 000 demandeurs d’asile et se sont concentrés sur la question du contrôle des frontières extérieures et sur l’aide financière susceptible d’aider à une solution de la crise. La France s'est engagée à recevoir au total environs 30 000 réfugiés sur deux ans.

Le Sénat français conduit actuellement de nombreux travaux sur le sujet afin de mieux comprendre cette crise majeur et de pouvoir apporter des solutions aussi bien au niveau européen qu'au niveau des villes et territoires qui devront accueillir ces réfugiés.


c. La politique européenne de voisinage 

Enfin,  l’Union européenne développe une politique de développement et de contrôle avec les pays méditerranéen et voisins. C’est la Politique européenne de voisinage. En 2013, elle concerne seize pays.

L’objectif de cette politique est d’établir et de renforcer la coopération politique, juridique, sécuritaire, économique et culturelle entre l’Union européenne et ses voisins. Car, pour beaucoup, la solution à l’immigration clandestine de masse n’est pas le contrôle toujours plus strict des frontières - au point de parler « d’Europe forteresse » - mais l’aide au développement et à l’instauration de régimes politiques stables dans les pays d’origine des migrants.

Pour aller plus loin