La déchéance de nationalité
Mercredi 6 janvier 2016 (mis à jour le 30 mars 2016)
C’est le sujet du moment. Tous les journaux en parlent, mais qu’est-ce que cela signifie clairement ?
Être déchu(e) de sa nationalité, c’est perdre les droits qui y sont rattachés. C’est également devenir un(e) étranger(e) dans son propre pays. Être déchu(e) de sa nationalité, c’est donc pouvoir se voir expulser de son pays, perdre son passeport, etc. C’est avant tout une mesure extrêmement forte et symbolique.
Le Président de la commission des lois du Sénat et Alain Richard sénateur du Val d'Oise présentent le texte avant son examen au Sénat les 16 et 17 mars 2016 :
À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le Président de la République s’est exprimé devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Il a notamment annoncé une révision de la Constitution pour y faire figurer l’état d’urgence aujourd’hui prévu par une simple loi.
Il s’est également prononcé en faveur de la déchéance de nationalité pour les personnes qui seraient condamnées pour un acte de terrorisme dès lors qu’elles auraient la double nationalité.
« Cette révision de la Constitution doit s’accompagner d’autres mesures. Il en va de la déchéance de nationalité. La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride, mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien « même s’il est né français » dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité ».
François Hollande, Discours devant le Congrès à Versailles, 16 novembre 2015
Le 23 décembre 2015, le Premier ministre a déposé un projet de loi constitutionnelle dans lequel figure cette mesure. Depuis cette annonce, de nombreuses personnalités – intellectuels, hommes et femmes politiques, de gauche principalement mais pas uniquement – s’élèvent contre ce projet estimant à la fois qu’il est totalement inefficace pour lutter contre le terrorisme et qu’il remet en cause le principe d’égalité entre les citoyens.
Le 30 mars 2016, le Président de la République a annoncé renoncer à faire adopter ce projet de loi constitutionnelle considérant que la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat étaient irréconciliables.
Selon certains, ce projet aurait comme effet de « créer deux catégories de Français ». Mais en réalité, l’égalité entre Français est déjà rompue par le droit existant.
Aujourd’hui, la déchéance de nationalité est permise pour les binationaux (c’est-à-dire les personnes ayant deux nationalités) ayant acquis la nationalité française depuis moins de 10 ou 15 ans selon la gravité des crimes qui leur sont reprochés. Cela est inscrit dans l’article 25 de notre Code civil.
Dans ce cadre le projet de loi constitutionnelle pourrait même, selon certains, être vu comme un renforcement du principe d’égalité puisqu'il supprime une actuelle rupture d'égalité en fonction du mode – et du délai – d’acquisition de la nationalité française. Avec cette réforme, à situation égale – celle d’être binational – la loi est la même pour tous les Français, qu’ils soient français de naissance ou qu’ils aient acquis cette nationalité plus tardivement.
Désormais, la rupture d’égalité se ferait donc entre les binationaux, quels qu’ils soient, et les Français n’ayant que la nationalité française. Ce qui revient finalement à créer deux catégories de Français clairement identifiées : ceux qui ne sont que français, et ceux qui sont « binationaux ». C’est ce que critiquent les opposants au projet de loi constitutionnelle : le fait de pointer du doigt – on dit aussi « stigmatiser » – toute une catégorie de la population. On estime à un peu plus de 3 millions le nombre de binationaux en France.
Au nom de l’égalité « pure », le maintien de la déchéance de nationalité impliquerait donc que celle-ci puisse s’appliquer également aux Français nés français et n’ayant que cette nationalité. Mais cela reviendrait à créer des « apatrides », c’est-à-dire des personnes sans nationalité, et cela est interdit par nos engagements internationaux. Comme la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que tous les individus ont "droit à une nationalité" et ne peuvent en être "arbitrairement privés" ou encore à la convention des Nations Unies sur les apatrides (c’est-à-dire les personnes sans « patrie » ou nationalité) de 1961.
"1. Tout individu a droit à une nationalité.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité."Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948
Certaines personnes estiment qu’il serait possible de contourner ces engagements internationaux en instaurant un crime « d’indignité nationale » pour tous les Français n’étant que français ou en mettant en place une perte de citoyenneté (et donc des droits qui vont avec, notamment le droit de vote) et non plus une déchéance de nationalité.
Enfin, il faut rappeler que si la France a signé la Convention des Nations Unies sur les apatrides, ce texte n’a jamais été « ratifié » c’est-à-dire qu’il n’a pas été directement intégré dans notre droit.
La France a même accepté de signer cette convention mais elle l’a fait en indiquant qu’elle pouvait « conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité si celui-ci manque de loyalisme envers son pays ou a fait une déclaration formelle d’allégeance à un autre État ».
Tout d'abord, qu’est-ce que le « droit du sol » ?
On peut être français de plusieurs façons :
- Par le « droit du sang » : ici, c’est la filiation qui est importante. On obtient la nationalité par « héritage ». Le principe est que tout enfant dont au moins un des deux parents est français est lui aussi français ;
- Par le « droit du sol » : ici, c’est le lieu de la naissance qui compte. Un enfant né en France d’un parent étranger lui-même né en France est français dès sa naissance. Un enfant né en France mais de parents nés à l’étranger pourra également devenir français à ses 18 ans, ou avant sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans) ou personnelle (entre 16 et 18 ans). Dans tous les cas la nationalité lui sera accordée sous conditions notamment de durée de résidence en France.
- Enfin, on peut devenir français par « naturalisation ». Un étranger majeur, résidant habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans, peut demander à être naturalisé.
Historiquement, le droit du sol est un des fondements de notre République. Il existe même bien avant la Révolution puisque c’est en 1515 que cette notion apparait pour la première fois en France.
Selon les Révolutionnaires, la République avait à sa création vocation à accueillir toutes les personnes qui résidaient en France et qui adhéraient à ses principes d’égalité et de liberté. Il y avait aussi alors un besoin plus concret qui était de disposer de nombreux soldats pour faire face aux invasions de l’ensemble de l’Europe monarchique.
Ce qui est reproché avec la mise en place de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français c’est de remettre en cause cette idée : le fait que l’on puisse être français dès sa naissance parce qu’on est simplement né en France.
Rien ne dit qu’un parti aux idées extrêmes puisse arriver un jour au pouvoir et se serve de cette « brèche » pour supprimer le droit du sol ou en tout cas pour pointer du doigt toutes les personnes ayant une double nationalité comme potentiellement terroristes ou assassins.
Évidemment, le projet de loi ne prévoit la possibilité de déchoir de la nationalité que pour les crimes les plus graves mais le fait est, qu’effectivement, une brèche semble ouverte : on pourrait désormais perdre sa nationalité française même si on est né français.
Mais, d’une part cela ne remet pas en cause le droit du sol par principe puisque si la personne n’a que la nationalité française (même acquise par droit du sol) on ne peut lui retirer et, d’autre part, ce n’est pas nouveau puisque cette disposition existe déjà dans notre Code civil ! C’est l’article 23-7 du Code civil qui depuis 1938 indique qu’un Français né français peut être déchu de sa nationalité :
« Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’État, avoir perdu la qualité de Français. » (extrait du Code civil)
Bien que l’État islamique(ou Daesh) ne soit pas considéré comme un État par la communauté internationale, il devrait pouvoir être possible de modifier cet article du code civil pour permettre la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français qui se rangeraient derrière une organisation terroriste. Nul besoin semble-t-il alors de modifier la Constitution.
Tout notre droit est basé sur une hiérarchie des règles (ou normes). La norme suprême est la Constitution. Toutes les lois doivent donc la respecter sous peine de ne pouvoir s’appliquer. C’est le rôle du Conseil constitutionnel de veiller au respect de notre Constitution dans laquelle figure en introduction la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Selon le Gouvernement, une loi qui permettrait la déchéance de nationalité pour les Français binationaux nés français pourrait être considérée comme contraire à la Constitution. Suivant l’avis demandé au Conseil d’État, le Gouvernement estime que la nationalité française attribuée dès la naissance confère des droits fondamentaux que le législateur « ordinaire » c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat, ne peut enlever au risque de porter une atteinte à ce qu’autorise la Constitution.
Le Gouvernement estime aussi qu’il est nécessaire d’inscrire symboliquement dans notre texte le plus fort ce principe afin d’apporter toute sa force au fait que les individus réalisant des crimes terroristes ne méritent plus d’appartenir à la communauté nationale. Le Gouvernement a fait le choix de modifier l'article de la Constitution qui énumère les domaines dans lesquels la loi fixe les règles :
« - La nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation » (Projet de la loi constitutionnelle de protection de la Nation, 23 décembre 2015)
A l’opposé, pour plusieurs professeurs de droit notamment, il n’existe pas de principe dans la Constitution qui fasse obstacle à ce qu’une simple loi soit votée afin de soumettre les Français par naissance et les Français par acquisition à la même peine possible de déchéance de nationalité. En effet, cela rétablirait même comme nous l’avons vu plus haut le principe d’égalité affirmée par le Conseil constitutionnel qui avait indiqué en janvier 2015 que :
«Les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à la naissance sont dans la même situation.»
Pour ces mêmes personnes, la Constitution doit être une protection. Elle doit comporter les limites de notre droit pour protéger nos libertés et ne pas devenir un outil de répression et de suppression des droits pour certaines personnes. Ils préconisent donc de ne pas modifier la Constitution pour mettre en place cette mesure.
Sur ce point enfin, tout le monde semble d’accord. L’efficacité de cette mesure en termes de lutte contre le terrorisme semble minime même si elle peut permettre d’interdire la présence sur le territoire français ou d’expulser plus facilement les personnes jugées coupables de crimes terroristes. Depuis 1973, 26 déchéances de nationalité ont été prononcées dont 13 pour terrorisme.
S’il y a peu de chance que cette mesure ne dissuade des terroristes de passer à l’acte, c’est avant tout sa portée symbolique qui est mise en avant.
Exclure de la communauté nationale et de la volonté de vivre ensemble que représente l’appartenance à la République les personnes condamnées pour crimes terroristes en l’inscrivant dans notre texte fondamental est en effet une mesure extrêmement symbolique et forte.
Le 30 mars 2016, le Président de la République a annoncé que le projet de loi constitutionnelle portant sur l'état d'urgence et sur la déchéance de nationalité ne serait pas adopté.
En effet, pour qu'un projet de loi modifiant la Constitution soit adopté, celui-ci doit être adopté avec exactement les mêmes mots par l'Assemblée nationale et le Sénat.
Mais les deux assemblées ont chacune adopté un texte trop différent. Sur la déchéance de nationalité, les députés ont souhaité l'étendre à tous les Français y compris ceux qui ne sont que Français alors que les sénateurs ont souhaité la limiter aux seuls binationaux comme cela était prévu dans le texte d'origine.
Les différences entre les deux assemblées semblant irréconciliables et le débat sur la déchéance de nationalité ayant finalement profondément divisé ceux qui normalement soutiennent le Gouvernement, le Président de la République a choisi de renoncer à faire adopter cette loi.
«Je constate aujourd’hui, quatre mois après, que l’Assemblée et le Sénat ne sont pas parvenus à se mettre pas d’accord et qu’un compromis paraît même hors d’atteinte sur la déchéance»
François Hollande, 30 mars 2016
Comme tu peux le voir ici ce n'est pas le première révision constitutionnelle qui échoue.
- Pour tout savoir sur l'acquisition de la nationalité française sur le site vie-publique.fr
- Déchéance de nationalité : qui serait concerné par le projet de loi constitutionnelle ? sur le site lemonde.fr
- Le débat sur la nationalité résumé dans une conversation SMS sur le site lemonde.fr
- Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation déposé à l'Assemblée nationale le 23 décembre 2015