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L'actu

Le patrimoine sensoriel des campagnes françaises

12 mai 2021

C’est l’histoire d’un coq et d’une loi.

Est-ce que tu te souviens de Maurice ? Maurice de l’Ile d’Oléron ?

Maurice était un coq (il est mort le 18 juin 2020), le plus normal des coqs. Quand arrive l’aube, les coqs chantent. Cocorico !
Selon un ornithologue (spécialiste des oiseaux) ils chantent pour marquer leur territoire, ils disent aux autres coqs : « T’approches pas de là, c’est chez moi ici et les poules sont les miennes ! ». Et cela continue dans la journée, pour les mêmes raisons.

Sauf que le matin, quand on n’est pas habitué, le chant du coq peut nous réveiller, nous perturber, nous ennuyer. Et c’est pour cela que l’on a beaucoup parlé de Maurice. Parce que les voisins de sa basse-cour ne supportaient pas cela et ils ont porté plainte. En réaction, une pétition a recueilli plus de 30.000 signatures pour soutenir Maurice et sa maîtresse. La presse, en France et à l’International, en a parlé. Et le Maire de la commune a déclaré :

Ici, je considère qu'on est dans un tissu rural, le chant du coq fait partie de ces éléments, je protégerai le coq pour défendre notre façon de vivre, tout simplement.

Au fil des ans, de plus en plus d’ « affaires » opposent des « vacanciers » ou de nouveaux propriétaires de maisons à la campagne, aux « charmes, us et coutumes» de la vie rurale : cocorico matinal, meuglement des vaches, bêlements des moutons, cloches et clarines dans les pâtures, routes bloquées par le retour à l’étable ou la transhumance, chant des cigales ou même odeurs (effluves de crottin ou de bouse, odeur d’urine du colza en fleur, émanations de betteraves sucrières,…) Il est vrai que tout cela n’est pas forcément du plus agréable, mais ce sont des éléments liés à la vie de la campagne.
Les « conflits » se multiplient et ces histoires « empoisonnent » la vie des habitants. Les maires des communes rurales confrontés à ce type de « bagarres » ont besoin de soutien et lignes claires.

Interrogés par le Sénat, les élus analysent cela comme une sorte de choc entre deux mondes qui ne se connaissent pas très bien. Par exemple, les nouveaux arrivants n’ont souvent pas conscience du rythme de la vie rurale (très matinale et parfois même la nuit). De leur côté, les ruraux se sentent envahis et dépossédés de leur environnement par une nouvelle population aux aspirations très différents (calme, repos, éloignement de l’agitation des villes,…)

Ces conflits de voisinage traduisent […] une évolution profonde de la société : la population est moins tolérante au bruit. De manière générale, y compris dans les territoires ruraux, chaque habitant considère son lieu de vie de plus en plus comme un « ilot », déconnecté de l'ilot voisin.

écrit le Sénateur du Tarn-et-Garonne, Pierre-Antoine Levi, rapporteur du texte au Sénat.
Il rappelle, par de nombreux exemples que :

  • les « gênes occasionnées par les sons et les odeurs en milieu rural [représentent] une problématique ancienne perturbant la vie des territoires »,
  • que la justice est assez peu saisie, « [ce n’est qu’une] partie marginale des litiges constatés dans les territoires ruraux » face à d’autres problèmes (routes, ponts, aéroport, usage des sols, qualité de l’eau ou pollution)
  • que les élus locaux (Maire, Conseillers municipaux) sont de plus en plus sollicités par des questions réclamant  « une mobilisation et un investissement chronophages » (qui prennent beaucoup de temps).

Et la période de confinement, avec de nombreux citadins « réfugiés épidémiques», n’a pas arrangé les choses. Le rapport constate :

Ces situations ont parfois entrainé l'exacerbation de conflits préexistants.

Mais, comme l’écrit le rapporteur, qui est sénateur d’un territoire rural :

Certains bruits, certaines odeurs font partie de l'environnement traditionnel d'un territoire et sont indispensables à son équilibre sociétal et économique. Ils participent à l'action dynamique des communes et des intercommunalités rurales, porteuses de projets de territoires et de développement. Les territoires ruraux ne sont ni des endroits silencieux ni inodores.

C’est pour permettre de mieux définir ce qui est constitutif de la campagne (et peut et doit le rester) que le Parlement (Assemblée nationale + Sénat) a voté en janvier 2021 une loi sur le « patrimoine sensoriel des campagnes françaises ».

Au-delà [du] caractère symbolique [de cette loi], la commission [cherche] une meilleure valorisation du patrimoine sensoriel et de l'identité culturelle des territoires ruraux, la définition d'éléments objectifs pouvant utilement soutenir les élus locaux des territoires ruraux dans leurs démarches de pédagogie et de médiation.

Lors des discussions au Sénat, le Sénateur Olivier Paccaud (Oise) a dit :

L'intitulé de cette proposition de loi inattendue et originale a pu étonner ou faire sourire. Mais elle n'est pas anecdotique et encore moins comique. Certains parleront d'un texte symbolique, car elle nous parle du sens que nous voulons donner au vivre-ensemble, en particulier dans la ruralité. Nous aurions sans doute préféré l'éviter : le bon sens, la tolérance, la courtoisie et la discussion valent toujours mieux qu'une loi !

La loi a été adoptée au Sénat et à l’Assemblée nationale et est parue au Journal Officiel le 30 janvier 2021. Les coqs vont pouvoir chanter, encore et encore, chaque matin !

Pour en savoir plus : www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-286.html