Sénat Junior / L'actu / La restitution des restes humains par la France
L'actu

La restitution des restes humains par la France

6 février 2024

Une loi pour le respect des ossements humains

Le lundi 18 décembre 2023, le Sénat a définitivement adopté la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques. Le Président de la République a promulgué cette loi le mardi 26 décembre 2023.

« Restitution des restes humains », on dirait une histoire un peu glauque !
La France et ses musées garderaient donc des os et d’autres choses qui ne leur appartiennent pas et qu’il faudrait rendre à leurs propriétaires légitimes ? Eh bien oui !
Tu veux un exemple ?

La France a rendu à la Nouvelle-Zélande vingt têtes maories (le peuple des îles de l’océan pacifique) et 24 crânes à l’Algérie. Mais ce ne sont pas les seuls.

Plusieurs centaines d’établissements publics en France (musées, monuments, services d’archéologie, universités) possèdent ce type de restes humains dans leurs collections pour leur étude, pour leur conservation mais aussi parce que ce qui est entré dans ces collections est considéré comme « inaliénable » (que l’on ne peut ni vendre ni donner). Ils appartiennent au « domaine public ».

Cette loi dont les sénateurs ont eu l’idée permet de clarifier cette question : que faire des squelettes, des ossements ou, même, des momies, si les pays d’où elles proviennent les réclament ? Face aux demandes qui pourraient lui être faites, la France peut maintenant apporter une réponse claire et nette se basant sur un texte précis.

www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-551.html

Quelques exemples récents de restitutions

En 2002, Vaimaca Pirú a pu rentrer chez lui en Uruguay qui, comme tu le sais, se trouve en Amérique du sud, entre le Brésil et l’Argentine.

Vaimaca Pirú était un chef Charrúa proche d'Artigas, le plus grand héros de l’indépendance uruguayenne contre les Espagnols et les Portugais. En 1831, rebelle au nouveau pouvoir, il est capturé, vendu et emmené en France pour être montré comme un animal exotique dans une galerie des Champs-Élysées puis dans un cirque. Il meurt peu après d’une grève de la faim. Et son squelette est longtemps conservé par le Museum national d’histoire naturelle avant de rejoindre Montevideo en 2002.

L’histoire de Saartjie Baartman est assez similaire. Esclave d’Afrique-du-sud, elle en montrée en spectacle à Londres, dans toute l’Europe et à Paris, où elle meurt en 1815 après avoir été « étudiée » sous toutes les angles par des scientifiques de l’époque. Son squelette, accompagné d’une statue, est d’abord exposé au Jardin des Plantes puis au Musée de l’Homme à Paris. Une fois l’Apartheid terminé, en 1994, Nelson Mandela demande à la France de lui rendre la dépouille. Après d’intenses discussions, une loi spécifique est votée ici en 2002 et Saartjie peut être enterrée près de son village natal tout au sud du continent africain.

Enfin, deux crânes, entreposés au Musée de l'Homme de Paris, ont été rendus en 2014 à la Nouvelle-Calédonie qui est une collectivité française d’outre-mer concernée elle aussi par la nouvelle loi.

D’où viennent ces collections ?

Plusieurs facteurs ont contribué à la constitution de ces collections :
•    l’explosion en Europe, et en France en particulier, de la curiosité et de la soif de connaissance avec les « Lumières » aux XVIIIe et XIXe siècles ;
•    la colonisation de très vastes régions du monde ;
•    une recherche française très active ;
•    l’existence de musées et de lieux d’étude.

« Chimie moderne, classifications naturalistes, enquêtes statistiques, médecine psychiatrique, cartographie… Dans de nombreux domaines au rayonnement mondial, la France a été précurseur » écrit l’historien Jean-Luc Chappey.

Si les penseurs, savants, intellectuels, étaient européens, les « Lumières » ont particulièrement brillé en France. Pour comprendre le monde, il fallait l’expliquer dans son intégralité, ce qu’ont fait (avec les moyens de l’époque) les encyclopédistes tels que Diderot et D’Alembert. Mais c’est avec la Révolution française que la science fait des pas de géants : Condorcet, Lavoisier, la création du Muséum d’histoire naturelle, etc. Ensuite, soutenus par Napoléon Ier et ses successeurs, les savants, chercheurs, explorateurs français, ont pu étudier la nature et l’homme. Ils ont cherché, creusé, récolté de très nombreuses pièces qui se sont retrouvées dans les collections publiques (mais aussi privées) en France.

Ces collections ont aussi été alimentées au fil des explorations et conquêtes françaises, notamment en Afrique, au Moyen-Orient, dans le Pacifique. Dès 1850, la France se constitue un véritable « empire colonial » où savants (mais aussi exploiteurs, pilleurs et escrocs) mènent des études archéologiques (habitat, vestiges du passé), anthropologiques (sociétés humaines) et paléoanthropologiques (évolution des humains).

Au XXe siècle, les chercheurs français parcourent le monde pour continuer les études qui mènent par exemple Yves Coppens à « découvrir Lucie » longtemps considérée comme la doyenne (personne la plus ancienne) de l’humanité.

Enfin, des « cabinets » de la renaissance aux Musées et autres instituts, la France a, très tôt, créé des lieux où pouvaient être conservées et présentées des « curiosités » avec des Français férus (amateurs) d’Histoire et de découvertes (chaque année plus de 200 000 visiteurs se pressent au Musée de l’Homme).

En résumé, l’essentiel des restes provient de fouilles archéologiques. Mais les collections comportent également des pièces collectées dans des conditions désormais jugées inacceptables (trophées de guerre, vols, pillages, profanations de sépulture) et incompatibles avec le principe de respect de la dignité de la personne humaine qui leur est dû.

Pourquoi a-t-on besoin d’une loi ?

Le code civil français prévoit que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». C’est pour cela qu’un traitement respectueux, digne et décent doit leur être assuré. La convention de l’Unesco et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones imposent par ailleurs de prendre en compte le lieu d’origine des restes humains.

Il peut donc être légitime dans certains cas de restituer les restes humains aux pays dont ils sont issus.

Le problème, c’est que ces restes humains appartiennent à des collections publiques et ils ne peuvent donc pas être restitués facilement. Jusqu’à présent, il fallait forcément une loi pour chaque restitution, ce qui est très lourd et contraignant. Ces difficultés expliquent le faible nombre de restitutions de restes humains intervenues à ce jour.

Qu’est-ce qui change concrètement ?

Grâce à la nouvelle loi votée par les sénateurs, il sera désormais plus simple de restituer des restes humains à d’autres États.

L’évolution la plus marquante est qu’il n’y a plus besoin d’une loi à chaque fois que l’on souhaite procéder à une restitution. La décision peut être prise par le Premier ministre, sur la base d'un rapport établi par le ministre de la culture permettant de s'assurer que les différentes conditions prévues par la loi auront été respectées.

Bien sûr, la procédure reste très encadrée.

Ainsi, la loi précise que les restes humains ne peuvent être rendus à un pays qu’à des fins funéraires (par exemple pour un enterrement ou la constitution d’un mémorial) et uniquement s’ils avaient été collectés dans des conditions portant atteinte à la dignité humaine ou au respect de la culture dont ils sont issus.

Chaque année, le Gouvernement devra rendre aux sénateurs et députés un rapport sur les demandes de restitution et le sort qui leur a été réservé, afin que le Parlement puisse contrôler la mise en œuvre de la loi.

Pour en savoir plus :