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L'actu

Hommage à Robert Badinter

13 février 2024

1928-2024

Le décès de Robert Badinter à l’âge de 96 ans, le 9 février 2024, a provoqué une grande émotion à travers le pays et des hommages unanimes des responsables politiques.   

Avocat, ministre de la Justice, Président du Conseil Constitutionnel et sénateur pendant presque 16 ans, son nom restera gravé dans l’Histoire de France pour son combat contre la peine de mort. Et ces phrases prononcées :

Demain, […] la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, […] il n'y aura plus, pour notre honte commune, d'exécutions furtives, à l'aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.

Un combat finalement remporté :

Le 30 septembre 1981, le Sénat, en votant le texte déjà adopté à l’Assemblée nationale, abolit la peine de mort en France.
Ce vote était historique, car il mettait un terme à […] une justice de mort en France. Il concluait, à l’honneur de la République, deux siècles de débats passionnés autour de la peine capitale.

dit Robert Badinter dans sa dernière intervention dans l’hémicycle du Sénat, en 2011, au moment de prendre sa retraite de Sénateur.

Au-delà de ce combat, le sénateur Badinter a également milité contre l’antisémitisme (un combat d'autant plus important pour lui que son père et une partie de sa famille disparaît dans les camps de la mort durant la seconde guerre mondiale), contre l’homophobie et contre les conditions de détention des prisonniers en France.

Un chemin contre la peine de mort

Robert Badinter est un adversaire de longue date de la peine capitale (un autre nom fréquent pour la peine de mort). Avant lui, avec lui, Voltaire, Diderot, D'Alembert (les encyclopédistes du XVIIIe siècle), Jean Jaurès, Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Jean Ferrat, Georges Brassens et même Coluche se prononçaient contre. Et, surtout, Victor Hugo dont il reprend la volonté d’une « abolition, pure, simple et définitive ».

En 1972, Robert Badinter est avocat lorsqu’il ne parvient pas à « sauver » l’un de ses client complice d’un meurtre. À la suite de cela, il écrit le livre « L’exécution » qui est très lu et sert de base aux combats contre la guillotine. Dans les années qui suivent, il sauve la vie de sept condamnés et défend de nombreux accusés.

C’est lui qui décide le nouveau Président de la République François Mitterrand à inscrire la fin de la peine de mort dans son programme de campagne en 1981. Une décision difficile, car une majorité de l’opinion publique s’oppose à l’abolition. Élu, François Mitterrand nomme Robert Badinter Garde des sceaux (c’est comme cela que s’appelle le Ministre de la justice en France). Nous sommes en mai 1981. Le nouveau ministre se met au travail. Dès le 26 août, le Conseil des ministres approuve le projet de loi.

Le 18 septembre, Robert Badinter monte à la tribune du Sénat après le vote de la loi par l’Assemblée nationale.

Le projet que nous vous soumettons, mesdames, messieurs les sénateurs, n'a rien d'audacieux ni de révolutionnaire pour la justice française. Il comble un retard international et s'inscrit tout simplement dans l'évolution nécessaire de notre justice nationale.

Il comble un retard international. La France a été en son temps, vous le savez, le premier pays d'Europe occidentale à abolir la torture, malgré les protestations de bons esprits qui déclaraient que, sans elle, la justice française serait dorénavant désarmée et les honnêtes gens livrés sans défense aux scélérats.

La France, qui a été une des premières nations à abolir l'esclavage, va se trouver être l'une des dernières puissances d'Europe occidentale à abolir la peine de mort. En faisant cette constatation, je ne sacrifie point.

[…]Les abolitionnistes comprennent parfaitement que les parents et les proches de la victime souhaitent la mort du coupable, par une réaction naturelle de l'être humain blessé au plus profond de son être.

Mais comprendre cette réaction naturelle ne veut pas dire la reprendre à son compte.

La douleur des victimes, si respectable soit-elle, ne commande pas à une société la mise à mort du coupable. Tout le progrès historique de la justice a consisté, au contraire, à dépasser la vengeance privée, et comment la dépasser sinon, d'abord, en refusant la loi du talion ?

A la conscience du malheur de la victime s'oppose, pour les abolitionnistes, la conscience, aussi vive, de l'impossibilité d'une justice de mort.

[…]En revanche, partout — je dis bien partout — où triomphent la dictature et le mépris des droits de l'homme, la peine de mort est inscrite dans les lois et pratiquée dans les faits, tant à l'encontre de criminels de droit commun que d'opposants politiques, d'hérétiques religieux ou même de délinquants économiques. La réalité internationale en témoigne : où la liberté fait défaut, l'État s'arroge le droit de mort sur ses sujets.

[…] Il faut bien mesurer, en effet, ce qu'implique, dans la réalité judiciaire, le maintien de la peine de mort. Ceux qui veulent une justice qui tue sont animés par une double conviction. D'une part, il y aurait des hommes totalement coupables, c'est-à-dire totalement responsables de leurs actes ; d'autre part, il pourrait exister une justice infaillible au point de décider que celui-ci doit vivre et cet autre mourir.

Au regard de la réalité, à l'âge auquel je suis parvenu et après les expériences que j'ai connues, je sais, comme vous tous, que ces deux propositions sont également erronées. Aussi terribles que soient leurs actes, il n'existe point d'hommes sur cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille, pour toujours, désespérer absolument.

Quant à la justice — et c'est là l'essentiel — aussi prudente que soit sa démarche, elle demeurera toujours humaine, c'est-à-dire faillible.

Le discours annoté à la main

L’ultime propos de Robert Badinter à la tribune du Sénat

Aujourd’hui, la peine de mort reste appliquée dans 52 pays dans le monde. Pour la seule année 2022, 883 exécutions ont été recensées par Amnesty International.

Les derniers mots prononcés par Robert Badinter dans l’hémicycle au moment de son départ du Sénat en 2011 restent donc plus que jamais d’actualité :

Notre devoir est donc tracé : aussi longtemps que l’on pendra, que l’on fusillera, que l’on empoisonnera que l’on décapitera dans le monde, nous devrons combattre sous tous les cieux la peine de mort, cet archaïsme sanglant, ce châtiment cruel, inhumain et dégradant […]

Au soir de sa vie, le sénateur Victor Hugo écrivait au bas d’une ultime proposition d’abolition : « Heureux si l’on peut dire un jour de lui : en s’en allant, il emporta la peine de mort ».

Le compte rendu de cette intervention en intégral

La vidéo : https://videos.senat.fr/video.55782_57bc5ce983b0e.30eme-anniversaire-abolition-de-la-peine-de-mort?timecode=4058445